Incidence des choix personnels de la victime (reclassement professionnel, suivi des soins) sur l’indemnisation de son préjudice corporel
La question posée: l’assureur peut-il, pour diminuer le montant de l’indemnité revenant à la victime d’accident, tenir compte des choix ou abstentions de celle-ci qui sont susceptibles d’augmenter l’étendue de son préjudice?
Dans un premier cas, la victime, exploitant d’une boulangerie qui avait dû cesser son activité professionnelle en raison de l’accident, sollicitait l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de son fonds de commerce, et sa fille réclamait le dédommagement de la perte de chance d’avoir pu l’entreprise familiale.
L’assureur en charge de l’indemnisation, suivi par la cour d’appel d’Amiens, estimait que l’affaire étant restée inexploitée durant plusieurs années, avait perdu toute valeur puisque la clientèle avait disparu, et le matériel était devenu obsolète, alors que la victime avait la possibilité de la faire exploiter par un tiers.
Autrement dit, il appartiendrait à la victime d’assumer son “choix” de laisser péricliter puis échouer son entreprise, et cela ne saurait être considéré comme une conséquence de l’accident, ni de ce fait être indemnisé par l’assureur du responsable…
La deuxième chambre civile de la Cour de Cassation s’est vigoureusement opposée à ce raisonnement en constatant que la perte du fonds de commerce était consécutive à l’arrêt d’activité de la victime ainsi qu’à son inaptitude professionnelle définitive en tant que le boulanger, de sorte que celle-ci est une conséquence directe de l’accident qui doit être réparée en intégralité par l’assureur.
Dans la seconde espèce, l’assureur et la cour d’appel avait réduit le montant de l’indemnisation du préjudice subi par la victime au motif que celle-ci avait été invitée par son neurologue puis par son neuropsychologue, à pratiquer une rééducation orthophonique et psychologique ce qu’elle n’a pas fait.
Ce refus ou plutôt cette abstention de soins était considéré comme fautif et par voie de conséquence, susceptible de diminuer l’obligation de dédommagement de l’assureur.
De nouveau, la Cour de Cassation censure cette analyse en affirmant “que l’auteur d’un accident est tenu de réparer toutes les conséquences dommageables et que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable“.
Concrètement, cette jurisprudence, confirmée depuis en matière de reconversion professionnelle (voir notre précédent article sur le sujet) énonce avec force que les choix opérés à titre personnel par la victime tant sur le plan des soins suivis que de son orientation professionnelle, même inadaptés voire maladroits, ne peuvent constituer une cause de réduction de l’indemnité qui lui revient.