L‘assurance de protection juridique était un de mes thèmes de prédilection durant ma période étudiante de sorte qu’avant d’intégrer le monde de l’assurance, j’avais intitulé mon mémoire de fin d’études, « l’assurance de protection juridique : une justice démocratisée ».
C’était – je l’avoue aujourd’hui – méconnaître gravement les subtilités pratiques de la matière, et l’adage selon lequel « le diable se cache dans les détails ».
Car en effet, sur le papier, l’assurance de protection juridique fait figure de véritable assurance « sociale » en ce sens qu’elle offre à l’assuré la prise en charge de prestations nécessaires à faire valoir ses droits. Elle permettrait ainsi d’annihiler le caractère dissuasif du procès, et plus généralement de l’accès au droit.
En regard de l’objet du site, mon propos sera ici limité à l’une des facettes de cette branche assurantielle constituée par les garanties de recours souvent voire systématiquement insérées aux contrats d’assurance automobile et multirisques habitation, destinées à permettre à la victime d’accident de la route d’être informée, conseillée, et représentée pour les actions à entreprendre vis à vis du responsable de son dommage et/ou son assureur.
La loi 89-1014 du 31 décembre 1989 prévoit trois modalités de gestion de ces sinistres par les compagnies d’assurances : un service autonome de l’entreprise, un entreprise juridiquement distincte spécialisée en la matière, ou enfin la délégation du dossier à l’avocat dès la déclaration de sinistre.
L’expérience révèle que cette dernière forme de gestion, par trop aléatoire et coûteuse, est très rarement utilisée par les assureurs, à la faveur des deux premières qui leur permettent de mieux maîtriser leurs prévisibilité et coûts.
Des conflits d’intérêts manifestes
Si l’on part du postulat que, pour faire valoir valoir ses droits à indemnité, la victime de la route doit impérativement être informée, conseillée et assistée par des spécialistes en matière de réparation du dommage corporel totalement indépendants des organes d’indemnisation que sont les assureurs de responsabilité, force est de constater que le traitement de cette garantie de protection juridique par les compagnies d’assurances révèle des conflits d’intérêts manifestes en ce sens que les intérêts spécifiques de la victime sont très souvent sacrifiés sur l’autel de la gestion « industrielle » des risques.
Ainsi, lorsque cette mission de protection juridique est confiée à un service spécifique de la compagnie (est-ce bien toujours le cas ?), il faut savoir que celui-ci, par le jeu du droit applicable (loi du 5 juillet 1985), et des accords inter- assureurs (convention IRCA), se trouvera fréquemment face à un autre service de la même société en charge d’indemniser le blessé.
Concrètement, le service de protection juridique présentera une réclamation à son « voisin » en charge du règlement des sinistres corporels.
Dans ce contexte, l’on peut sérieusement s’interroger sur le « zèle » du service protection juridique à argumenter des demandes d’une victime jugée « trop gourmande » par son confrère des sinistres corporels.
Quelle valeur présente dans ces conditions l’avis favorable donné par l’assureur de protection juridique à l’égard d’une offre d’indemnité formulée par sa société elle-même ?…
La question peut également être posée lorsque les deux assureurs sont différents car, au gré des dossiers, chacun d’eux se trouve tantôt en position de défenseur de la victime, tantôt de « régleur ».
Que penser par ailleurs des sociétés spécialisées de protection juridique ?
En théorie, celles-ci répondent aux critères d’autonomie nécessaires à la préservation correcte des intérêts de la victime d’un accident.
En pratique, il apparaît néanmoins que la quasi-totalité des compagnies d’assurance de protection juridique ne sont que des filiales de groupes d’assurances généralistes. Dans certains cas, les équipes de ces sociétés spécialisées partagent les mêmes locaux que la compagnie d’assurances du responsable.
Et l’on revient à la problématique de conflits d’intérêts décrite plus haut.
Un principe souvent contourné : le libre choix de son conseil par la victime
Cette règle est censée solutionner les paradoxes décrits ci-dessus.
Cependant, en pratique, la victime de l’accident de la route qui souhaite voir défendre ses intérêts par un avocat ou tout autre conseil habilité par la réglementation en vigueur, se verra de façon quasi-systématique orientée vers le conseil attitré de son assureur.
Or, comment considérer l’avocat de compagnie réellement indépendant dès lors d’une part que ce « client » représente un volume de dossiers non négligeables pour son cabinet, d’autre part qu’il sera sollicité tantôt en recours pour la victime, tantôt en défense des intérêts de l’assureur lorsqu’il garantit le responsable de l’accident ?
Bien plus, s’il venait à la victime l’idée de faire intervenir son conseil personnel, elle pourrait en être dissuadée par le fait que dans ce cas, l’assureur n’interviendrait que pour une partie – très faible – sur les honoraires de celui-ci.
Il ressort de tout cela qu’au delà des intentions officielles louables affichées par les assureurs, les garanties de protection juridique dont peut bénéficier la victime d’un accident de la route ne lui permettent pas d’être objectivement informée, conseillée, assistée voire représentée afin d’obtenir un dédommagement conforme et complet de son dommage corporel.
Seule la saisine d’un conseil habilité par la réglementation en vigueur (dont sont les experts en assurances indépendants) non seulement spécialisé en matière d’évaluation du préjudice corporel, mais aussi et surtout totalement indépendant de la « famille » assurances, lui permettra d’y aboutir.
Certes, cette intervention ne sera pas, ou presque, prise en charge par l’assureur de protection juridique.
Pour autant, la conclusion d’une convention d’honoraires précise et transparente avec son conseil permettra à la victime de mieux maîtriser la prestation de son conseil, et surtout la “plus-value” qu’il lui apporte.